Fin de la contention en psychiatrie : possible ou impossible ?
[REVUE DE PRESSE] On est début mai et Philippa Motte, concernée par les troubles bipolaires, publie un récit littéraire remarqué, “Et c’est moi qu’on enferme”. Elle y raconte ce qu’elle a ressenti lorsque, hospitalisée sans son consentement, elle s’est retrouvée attachée avec des sangles. Peu après, 5 psychiatres publient dans le quotidien Le Monde une tribune “Pour l’abolition de la contention et de l’isolement”. En juin, c’est le tour de la principale fédération d’associations réunissant des proches de personnes concernées par un trouble psychique, l’Unafam, de rendre public un “Manifeste pour l’abolition de la contention”.
Ainsi des patients, des soignants et des proches se trouvent aujourd’hui alignés dans la poursuite d’un même objectif : mettre fin à la contention, pratique consistant à immobiliser une personne contre son gré. Pour certains professionnels, ça paraît impossible. Selon eux, les exigences de sécurité pour les patients et les soignants, ainsi que le manque de personnel dans les hôpitaux, ne le permettent pas. Le débat se poursuit, après que la contention a fait les titres de nombreux médias.
Ce sont 8 000 patientes et patients qui ont été soumis à une contention en 2022, selon le dernier bilan de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes). Depuis 2016, cette technique n’est censée être utilisée qu’en “dernier recours”, rappelle l’Agence France Presse (AFP). Mais une écrasante majorité des 220 établissements qui assurent des soins psychiatriques sans consentement continue de la pratiquer. En 2022, seuls 32 déclaraient ne pas y avoir recours.
Le gouvernement ne semble à ce stade pas prêt à abolir cette pratique, poursuit l’AFP. Dans son plan psychiatrie publié en juin, il réaffirme que “l’isolement et la contention doivent rester des mesures de dernier recours”, mais continue de juger leur usage “parfois nécessaire”.
- Lire la dépêche du 24 juillet de l’AFP sur France 24
Dans les textes, la contention est une “mesure” prise sur décision d’une ou un médecin, et non un traitement. Pourtant, “on présente souvent [l’isolement et la contention] comme un soin, sans qu’on ait jamais mesuré, dans la littérature scientifique, s’il permettait à des gens qui souffrent d’un accès maniaque de la maladie bipolaire ou d’une décompensation psychotique dans la schizophrénie, d’aller mieux”, affirme Hugo Baup, psychiatre à l’hôpital de Périgueux, sur France Inter.
- Ecouter le sujet du 24 septembre par le journaliste Victor Dhollande sur France Inter
A l’inverse, les psychotraumatismes provoqués par la contention sont aujourd’hui une réalité bien décrite. “Ca amène de la colère, de l’humiliation et de la peur, du côté des usagers, rappelle la psychiatre Maeva Musso, présidente de l’Association des jeunes psychiatres et des jeunes addictologues (AJPJA) et signataire de la tribune dans Le Monde. Du côté des soignants, ça a aussi un impact très négatif et ça fait baisser l’attractivité du métier”.
Peut-on s’en passer ? Si certains le pensent, d’autres en doutent. “Aux urgences, je ne vois pas comment faire sans les contentions, affirme Michael Sikorav, psychiatre en libéral, à la journaliste de France Inter Saskia de Ville. Le système de soins français, actuellement, n’est pas capable de façon globale de supprimer la contention”. De son côté, Maeva Musso estime que “ce n’est pas parce que ça paraît difficilement évitable que, pour autant, on ne va pas montrer l’exemple et être ambitieux”.
- Ecouter l’émission du 15 août sur France Inter
Ces traumatismes peuvent aggraver les troubles et tenir des patients éloignés des soins. Anna, qui a vécu la contention à l’hôpital de Strasbourg, témoigne de ses conséquences auprès de la journaliste de RFI Laurence Théault : “Ca reste en moi aujourd’hui, je vis avec une certaine honte d’avoir subi cette pratique là”. Mathieu Bellhasen, psychiatre et auteur de l’essai “Abolir la contention” (2023) ajoute : “Non seulement ça traumatise, mais ça peut retraumatiser. Il y a énormément de personnes qui ont eu des vécus d’agressions sexuelles, d’inceste, de traumatismes physiques, qui se retrouvent en contention et qui vont réactiver ces dimensions là”.
- Ecouter l’émission du 17 septembre sur RFI
- Lire les réflexions de Anne-Lyse Delvaux, médiatrice en santé mentale, sur LinkedIn
- Regarder la rencontre avec Philippa Motte, animée par Hana Levy-Soussan responsable de la pair-aidance à La Maison perchée, sur la chaîne YouTube de l’association
Pourquoi la contention perdure ? Le rapport sur les urgences psychiatriques remis en décembre 2024 à l’Assemblée Nationale par les députées Nicole Dubré-Chirat et Sandrine Rousseau apporte une première réponse. “La fréquence des situations de violence et le recours croissant à la contention sont des phénomènes amplifiés par le manque de moyens humains et matériels adaptés aux besoins de la prise en charge”, indique le document.
- Lire le rapport sur le site de l’Assemblée nationale
Cependant, ce n’est pas la seule explication avancée. “Bien entendu le manque de moyens peut aggraver les choses”, estime Mathieu Bellahsen sur France Info. Mais “il n’y a jamais eu de débat politique” sur le fait de savoir si “la contention est oui ou non un soin”. C’est en ces termes que le débat doit être introduit, selon le psychiatre. Soit “on dit que c’est un soin” et donc “c’est pour le bien de la personne”, soit “on dit que c’est une mesure de sécurité” en se disant “qu’on ne peut pas faire autrement à certains moments”. Si on a cette réflexion, “alors se pose la question de comment on essaye de faire autrement“.
- Lire l’article du 24 juillet sur France Info
Pour faire autrement, l’Unafam (Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques) formule des propositions. Par exemple, agir pour limiter au maximum la survenue d’une crise. “En amont de la crise ou de la décompensation, il est important d’écouter la personne concernée et d’établir avec elle, et avec les aidants de son choix, un plan de prévention contenant ses directives anticipées en psychiatrie [la liste de ses souhaits en cas d’hospitalisation] qui la sécurisera”. Quand la crise est là, l’accès à un espace d’apaisement peut permettre au patient de se calmer, rappelle l’Unafam.
- Lire le manifeste mis en ligne le 23 juin sur le site de l’Unafam
Des chercheurs se sont penchés sur les méthodes utilisées en France dans les hôpitaux n’ayant pas ou peu recours à la contention, dans l’idée de pouvoir diffuser ailleurs celles qui fonctionnent. “La recherche ne s’est pas focalisée sur les facteurs de risque, mais sur l’étude des ingrédients et de la culture qui permettent à un établissement psychiatrique d’être le moins coercitif possible”, écrit Loïc Rohr, infirmier et coordonnateur de l’étude Plaid Care pour le Centre hospitalier de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or (Rhône).
- Découvrir en vidéo les résultats présentés le 18 juin, sur le site de la revue Santé mentale
Au CHU de Saint-Etienne (Loire) et dans 5 autres établissements en France, des chercheurs vont bientôt tester un un programme de moindre recours aux mesures d’isolement et de contention, déjà utilisé aux Etats-Unis. Il prévoit notamment la formation du personnel à des outils de gestion de crise. On peut citer par exemple les techniques de désescalade, basées sur des attitudes, des paroles et des gestes permettant de faire baisser l’agressivité de la personne.
- Lire l’article sur la revue Santé mentale
CREDITS DE CETTE REVUE DE PRESSE
Veille de l’actualité en santé mentale : équipe Psycom
Choix du sujet en comité éditorial : Estelle Saget, Cyril Combes, Léa Sonnet, Aude Caria (Psycom)
Rédaction : Estelle Saget (Psycom)