"Je suis un malade mental", retour sur le dévoilement de Nicolas Demorand

Publié le 24/04/2025
Un mois après que le journaliste de France Inter a rendu publique sa bipolarité, la réflexion se porte sur les bénéfices que les personnes concernées par les troubles psychiques peuvent en attendre.

[REVUE DE PRESSE] Le journaliste Nicolas Demorand, coprésentateur de la matinale sur France Inter, a rendu publique sa bipolarité le 26 mars, affirmant à l’antenne : “Je suis un malade mental.” Il a publié en même temps un récit consacré à son trouble, “Intérieur nuit” (éditions Les Arènes).

Son dévoilement a créé l’événement, dans un contexte où les troubles psychiques restent un tabou fort. Sa prise de parole a suscité l’empathie, le partage de connaissances sur la bipolarité mais aussi des réflexions autour de la honte et de la stigmatisation. 

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Le choix de Nicolas Demorand de ne plus cacher, à 53 ans, le trouble pour lequel il y a reçu un diagnostic il y a 8 ans, a été salué de manière unanime. “Qu’un homme aussi exposé dévoile ainsi ses failles, c’est rendre un immense service à toutes celles et ceux qui souffrent en silence”, a estimé son confrère Guillaume Erner sur France Culture.

Le quotidien La Croix y a consacré son éditorial. “Cette déclaration est un événement, écrit le journaliste Loup Besmond de Senneville. Non pas parce qu’elle concerne une personnalité, mais parce qu’elle contribue à normaliser ce qui est largement perçu dans le champ public comme une maladie honteuse. Il faut donc se réjouir de la démarche lancée par Nicolas Demorand, et de la libération de la parole qu’on aimerait qu’elle provoque, à travers un salutaire #MeToo de la maladie mentale.”

Médiatrice de santé paire en région parisienne, Juliette Vaillant soutient et décrypte avec son regard propre le geste de Nicolas Demorand. “Le dévoilement c’est courageux, parce qu’il y a tellement de répercussions négatives possibles, la stigmatisation est partout […]. Le dévoilement c’est aussi pour soi, car c’est la possibilité d’être aligné avec soi-même, de ne plus avoir l’impression de mentir lorsqu’un collègue nous trouve moins bien et que l’on s’empêche de lui donner cette clé de lecture”.

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Si la démarche elle-même ne fait pas débat, les mots de Nicolas Demorand suscitent des discussions. Fallait-il retenir, pour définir sa personne, l’expression “malade mental” qui est utilisée comme insulte ? En prenant ainsi le risque de participer à la stigmatisation des personnes concernées ?

Questionné deux semaines plus tard à ce sujet, Nicolas Demorand s’est expliqué : “C’est comme ça que je le vis, et c’est comme ça que je le dis à mes proches”.  Son intention n’était pas de se réapproprier l’insulte pour lui enlever son pouvoir rabaissant, comme des militants homosexuels l’ont fait en se revendiquant PD ou gouine. Il a cherché l’efficacité : “Je voulais casser le mur de la honte, le mur de la peur, et ces murs là on les casse en disant les choses avec une certaine force“.  

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Face aux critiques de vocabulaire, Jeanne Tarride, médiatrice de santé paire à Sartrouville (Yvelines) défend le droit de chacune et chacun à parler de son vécu comme il l’entend. “Souvent, ces critiques viennent de personnes qui ne sont pas elles-mêmes concernées par la maladie, écrit-elle. Et pourtant, elles nous expliquent comment nous devrions parler de nous, de notre vécu, de notre santé. Oui, nos prises de parole pourraient être “mieux pensées”, “plus efficaces”, “plus utiles”. Mais faut-il rappeler que nous ne sommes pas les VRP du rétablissement en santé mentale ?”

Certaines personnes concernées ont trouvé l’expression difficile à entendre, comme Nicolas Montanard, médiateur de santé pair à Marseille. “Ma colère des derniers jours s’est calmée”, écrit-il pour ensuite en expliquer l’origine : “Le mot malade mental est un trigger [un déclencheur qui réactive un traumatisme] pour moi. Je vais continuer à être dans l’indignation tant que cela sera perçu comme « normal » d’être oppressé, diffamé, chosifié. “

D’autres commentateurs ont souligné la catégorie sociale et économique élevée à laquelle appartient Nicolas Demorand, estimant que les personnes de condition plus modeste restent invisibilisées.  Ainsi, dans Marianne, la journaliste Maud Le Rest écrit qu’au vu de sa “position sociale très confortable”, il est protégé des conséquences professionnelles négatives à attendre après un tel coming out, par exemple se voir confier moins de responsabilités ou perdre son emploi. Elle le considère également privilégié dans son accès aux soins, lui qui “parle plusieurs fois par jour avec son psychiatre par SMS et au téléphone.”

  • Lire son billet sur Marianne
  • Découvrir ce qui est arrivé après leur dévoilement pour 4 personnes qui ne sont pas des célébrités, sur 20 Minutes 

Sur le fond, le dévoilement de célébrités, d’artistes, de sportifs, font-ils vraiment du bien aux personnes concernées ? Leurs témoignages font-ils reculer la stigmatisation ? “Rien n’est moins sûr”, écrivait il y a un an la journaliste de Slate Laure Dasinières. L’article rappelle que de manière contre-intuitive, selon la littérature scientifique, ils ne font pas baisser le niveau de discrimination.

  • lire son article sur Slate 

CREDITS DE CETTE REVUE DE PRESSE

Veille de l’actualité en santé mentale : équipe Psycom
Choix du sujet en comité éditorial : Estelle Saget, Cyril Combes, Léa Sonnet, Aude Caria (Psycom)
Rédaction : Estelle Saget (Psycom)