[REVUE DE PRESSE] La chanteuse folk américaine Joan Baez, icône des années 1960 et 1970, s’est confiée dans les médias début décembre, à l’occasion de la traduction de ses poèmes en français. Ces textes ont été rédigés dans les années 1990, alors qu’elle suivait une thérapie pour ce qu’on appelle aujourd’hui un trouble dissociatif de l’identité (TDI). A 84 ans, celle qui a fait connaître Bob Dylan est l’une des rares célébrités à prendre la parole sur un trouble qui suscite encore incrédulité et suspicion.
Dans la tête de Joan Baez, plus de 50 personnages ont cohabité à cette époque. “Quand on est petit et qu’on subit des violences, c’est comme si on s’inventait d’autres personnages pour prendre différents rôles, explique-t-elle à la journaliste Sonia Devillers. Certains assumeront la colère, d’autres la peur, ce sont des personnages qui me protègent. Dans mon cas il y avait beaucoup de personnages, plus de 50. J’ai appris à les connaître, c’est comme ça que j’ai appris à aller mieux […]. Aujourd’hui, il y a des gens qui sont encore là mais pas très présents, c’est surtout moi maintenant. “
Le trouble dissociatif de l’identité figure dans la Classification internationale des maladies établie par l’Organisation mondiale de la santé, dans la famille des troubles dissociatifs. Dans ce trouble psychique, plusieurs identités (appelées alters, pour identités alternantes) se partagent le même corps, dont elles prennent tour à tour le contrôle, indique le documentaire “Un moi aux personnalités multiples, vivre avec un TDI”, réalisé pour Arte en 2025. Selon la psychiatre Caroline Hingray, chercheuse à l’université de Lorraine citant la littérature scientifique, le trouble concerne entre 1 et 1,5% de la population générale, une proportion équivalente à celle de la schizophrénie.
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Les spécialistes du TDI sont encore peu nombreux en France. Au CHRU de Nancy où elle reçoit des patients, Caroline Hingray admet que c’est l’une des maladies qui suscite le plus de scepticisme. Moins de 20% des psychiatres sont convaincus de sa réalité, déclare-t-elle à la journaliste de France Culture Tara Schlegel. Parmi les autres, 30% hésitent, tandis que l’autre moitié soit récuse totalement ce trouble, soit répond “ne sait pas” à l’enquête qu’elle a menée auprès d’eux.
Emilie Gardner, qui a grandi dans le nord de la France, a reçu ce diagnostic il y a trois ans, à l’âge de 38 ans. Invitée par le média Notélé, elle raconte les traumatismes à l’origine de son trouble, selon elle, dans un livre publié en mars dernier, “Des fourmis dans ma tête” (autoédition). “Je garde contact avec la réalité, je fonctionne socialement, mais j’ai des voix dans la tête, comme des commentateurs sportifs quand vous regardez un match à la télé, explique-t-elle à la journaliste Aniko Ozoraï. [Imaginons que nous sommes vous et moi dans une voiture,] je suis la partie qui conduit la voiture. S’il y a un changement d’identité, je vais être décalée vers le siège passager, quelqu’un va me remplacer”.
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Sur les réseaux sociaux, plusieurs personnes concernées partagent leur expérience du TDI. Zelliana, 27 ans, a témoigné dans l’émission de France Culture citée plus haut. D’autres choisissent, pour mieux décrire leur réalité intérieure, de donner un prénom différent à chacune de leurs individualités et de choisir un nom pour leur “système”, terme désignant l’ensemble de ces individualités. Ainsi, pour son intervention dans le média Petite Mu, Kara, 30 ans, se présente comme l’une des identités du système Gardens & Flowers. « Je suis pas une bête de foire, un sujet de film ou une personne dangereuse, déclare-t-elle. Si le TDI était mieux connu, les gens identifieraient le truc et passeraient à autre chose”.
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Plusieurs associations d’entraide ont vu le jour ces dernières années à l’initiative de personnes concernées par le TDI. Ainsi, la personne qui s’est nommée “système Gardens & Flowers” a créé l’association La pieuvre dissociée, qui organise des rencontres en visio et en présentiel à Paris.
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A Charleroi (Belgique), l’association Partielles a été fondée par deux personnes concernées d’une trentaine d’années, sous les pseudos de Epsi et Kara. Leurs avatars parlent du stigmate attaché au TDI et dénoncent les a priori, les idées reçues, le sensationnalisme que le trouble suscite. Elles recommandent aux médias d’éviter de mettre en scène le changement d’une individualité à une autre (le switch), qui attise la curiosité et suscite la fascination, au lieu de l’empathie et la compréhension.