Guerre Israël-Hamas : protéger la santé mentale des enfants, là-bas et ici

Publié le 06/11/2023
Les plus jeunes sont particulièrement vulnérables au psychotraumatisme. En Israël, dans la bande de Gaza mais aussi en France, il est nécessaire de prendre des mesures pour limiter ce risque.

[VU SUR LE WEB] La guerre entre Israël et le mouvement palestinien Hamas, qui a débuté le 7 octobre, a des répercussions massives sur la santé mentale des personnes vivant sur place, en particulier les enfants. Catherine Russell, la directrice générale de l’Unicef, organe des Nations Unies dédié à la protection des enfants à travers le monde, a souligné le 30 octobre que “les enfants d’Israël et de l’État de Palestine subissent de terribles traumatismes, dont les conséquences pourraient durer toute leur vie”.  

Les événements eux-mêmes, ainsi que les images violentes diffusées dans les médias ou sur les réseaux sociaux, suscitent aussi l’effroi à distance et peuvent impacter la santé mentale d’autres personnes à travers le monde et en France. Pour les enfants ainsi exposés de façon indirecte, il existe un risque de stress post-traumatique dit secondaire. 

A New York, la cheffe de l’Unicef s’est adressée au Conseil de sécurité de l’ONU, le 30 octobre. Evoquant à la fois les attaques avec prise d’otages du Hamas le 7 octobre en Israël  et les bombardements par les forces israéliennes à Gaza depuis le 8 octobre, Catherine Russel a déclaré : « J’implore le Conseil de sécurité d’adopter immédiatement une résolution qui rappelle aux parties leurs obligations en vertu du droit international, appelle à un cessez-le-feu, exige que les parties autorisent un accès humanitaire sûr et sans entrave, exige la libération immédiate et sûre de tous les enfants enlevés et détenus et exhorte les parties à accorder aux enfants la protection spéciale à laquelle ils ont droit ».

Dans la bande de Gaza, les besoins en soutien psychologique sont importants, même si la santé mentale n’est pas la préoccupation première des habitants. Le porte-parole de l’Unicef, James Elder, a cité l’une de ses collègues qui vit et travaille à Gaza, Nesma, lors d’une conférence de presse organisée le 31 octobre au Palais des Nations à Genève. « Je n’ai pas le luxe de penser à la santé mentale de mes enfants. Je me dis sans cesse : « Nesma, garde-les en vie ». Et quand tout cela se terminera, je leur apporterai un soutien mental et des soins médicaux. »

Médecins du monde, présent à Gaza, avait dressé le 25 octobre un tableau “des conséquences concrètes de l’effondrement du système de santé sur la population”. L’ONG soulignait : “Les besoins sont élevés en termes de services de santé mentale et de soutien psychosocial à court et à long terme pour un grand nombre de personnes psychologiquement traumatisées“.

Comment limiter les conséquences du psychotraumatisme sur la jeune génération ?  En préservant leur capacité à apprendre, soutient Olivier Arvisais, professeur à la Faculté des sciences de l’éducation, à l’Université du Québec à Montréal (Canada). Il mène un projet de recherche portant sur le développement cognitif et les capacités d’apprentissage des enfants palestiniens en milieu scolaire à Gaza, en collaboration avec une ONG locale.

« Le but, c’est de produire des connaissances qui vont aider les enseignants, les psychologues et les travailleurs sociaux à mieux travailler avec les enfants qui vivent dans ces conditions », explique Olivier Arvisais à la journaliste du Devoir Sarah Boumedda. Ces connaissances doivent permettre « d’atténuer les effets négatifs sur le développement cognitif que la violence et la guerre ont sur eux ».

  • Lire l’article sur le quotidien canadien Le Devoir 

En Israël, le risque de trouble de stress post-traumatique est élevé, suite à l’attaque du 7 octobre et l’enlèvement de plus de 200 personnes par le Hamas. Le Représentant spécial de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en Israël, Michel Thieren, a parcouru le pays pour rencontrer les survivants, les autorités et les familles des otages. “Survivants, blessés, psychiatres, médecins, secouristes et soldats, tous leurs récits sont horribles, affirme-t-il dans l’article publié le 26 octobre. L’ombre du choc et du chagrin au niveau national a plongé ce pays dans la nuit.”

En France aussi, les besoins de soutien psychologique sont importants dans la communauté juive. Aux événements traumatisants survenus en Israël, s’ajoute l’augmentation des actes antisémites dans notre pays. Les principales associations juives installées en France ont réactivé leur numéro d’écoute, proposant un accompagnement par des professionnels de la santé mentale bénévoles. Elément inquiétant sur lesquels alertent ces professionnels, selon l’article de Margaux Gable dans Libération du 27 octobre : beaucoup des personnes suivies sont des enfants.

La journaliste cite Lydia Liberman Goldenberg, pédopsychiatre bénévole au sein de la cellule d’écoute : «Beaucoup sont sujets à des troubles de l’endormissement, aux réveils nocturnes, à un sentiment d’insécurité qui peut être ravivé au moindre imprévu, ont du mal à sortir de la maison, à quitter leurs parents ou à aller à l’école».

Le risque de psychotraumatisme secondaire, lié à l’exposition à des informations choquantes, existe pour l’ensemble des jeunes, toutes communautés confondues. La psychiatre Muriel Salmona expliquait, le 13 octobre, que les adolescents ne devraient pas “rester seuls” face aux images “d’actes d’atrocité” et aux “commentaires haineux”. Quand on se rend sur internet, “on peut avoir l’impression qu’on supporte d’aller regarder tous ces commentaires, toutes ces vidéos. Mais en fait, on ne le supporte pas. On est anesthésié et le traumatisme s’auto aggrave. Il faut protéger particulièrement les personnes les plus vulnérables.”

La psychiatre suggère de poser des questions aux adolescents : “Comment ils vont, est-ce qu’ils ne font pas des cauchemars, est-ce qu’ils n’ont pas l’impression d’être déconnectés émotionnellement ? On peut avoir l’impression de ne plus avoir de sentiment, d’empathie alors que ce n’est pas du tout ça. C’est le trauma. Il faut s’en préoccuper et ne pas hésiter à consulter aussitôt qu’on a l’impression que c’est trop difficile pour eux”.

Les enfants qui ont l’âge d’aller à l’école primaire ne devraient pas avoir accès aux images, estiment les professionnels de la santé mentale. “L’image est plus terrorisante qu’un texte, elle est perçue sans intermédiaire par le cerveau, explique Bruno Boniface, psychiatre spécialiste en traitement des psychotraumatismes exerçant au CHU de Bicêtre (Val-de-Marne). Cela démultiplie la terreur.” 

L’artiste et auteur de bande dessinées Joann Sfar, qui vit à Paris et se définit lui-même comme “un Juif de nationalité française”, s’inquiète de voir la guerre exacerber à la fois l’antisémitisme et le racisme antimusulman en France. A travers le croquis d’une scène vécue, posté le 14 octobre sur Facebook, il encourageait chacune et chacun à manifester de l’empathie vis à vis de ses compatriotes aussi bien juifs que musulmans.

“Depuis la France soyez à peu près certains que vos actes ne peuvent aider ni la Palestine, ni Israël, ni la paix, écrivait-il au-dessus de son croquis. La seule chose que vous pouvez faire c’est faire preuve d’empathie pour les compatriotes que ces drames mettent directement en danger. […] Ce matin au café, un couple musulman avec la barbe, le voile et toute la tenue. Et leur bébé. Et moi, mon enfant. Ils m’ont reconnu et le papa m’a gentiment posé la main sur l’épaule. Nous n’avions rien d’autre que ce silence mais j’ai senti dans leurs yeux un chagrin et une inquiétude semblables aux miens. Car nul ne sait quelles autres horreurs nous attendent.”

CREDITS DE CETTE REVUE DE PRESSE

Veille de l’actualité en santé mentale : équipe Psycom
Choix du sujet en comité éditorial : Estelle Saget, Alexandra Christine, Léa Sonnet, Aude Caria (Psycom)
Rédaction : Estelle Saget (Psycom)